Gourmands, accourrez ! Il y a plus d’un mois s’est tenu le Salon suisse des goûts et des terroirs à Bulle, au sein d’un territoire suisse riche en saveurs (et en palais généreux). L’évènement, qui a rassemblé plus de 250 artisans venus des quatre coins de la Suisse, est à présent bien ancré au sein du territoire helvète, et référencé parmi les salons gastronomiques les plus réputés en Europe.
Participant du même désir, la Semaine du goût honore les papilles suisses et n’a cessé de se déployer depuis sa création en 2001. La dernière édition comportait 1500 évènements contre dix fois moins à ses débuts. Les artisans suisses semblent donc plus que jamais décidés à exposer leurs produits comme s’il s’agissait de défendre un territoire, une culture, un savoir-faire…
Ces évènements qui élargissent chaque année leur champ d’action s’inscrivent dans une nouvelle tendance : le retour vers une alimentation authentique, la revalorisation d’un patrimoine culinaire au détriment d’une standardisation, d’une pensée unique du modèle de production.
Sans évoquer le cas de la malbouffe, la tendance s’était nettement orientée dès les années 70 et 80 vers une uniformisation du goût, vers une perte des saveurs. L’exemple le plus répandu est celui des tomates. Combien de fois avez-vous entendu dire que la tomate n’avait plus de goût ? La création de Bio Suisse en 1981 avec son cahier des charges unifié a souhaité instaurer une sensibilité aux cycles naturels, et au respect du vivant.
En 2005, 11% des exploitations agricoles en Suisse avaient ainsi droit au label au Bourgeon, et on estime cette proportion croissante (d’environ 3% chaque année). La Suisse romande souffre encore d’un retard structurel par rapport aux cantons alémaniques, l’agriculture biologique s’adaptant moins bien aux exploitations de grandes cultures.
Mais la tendance est là : en s’associant avec les grands magasins, le bio est parvenu à conquérir son public, représentant un chiffre d’affaires estimé à deux milliards de francs chaque année. Les Suisses plébiscitent l’agriculture biologique. On peut parler de révolution alimentaire durable qui s’inscrit dans une volonté plus large de préserver l’intégrité et la diversité du patrimoine biologique suisse.
Vendeurs et producteurs l’ont bien compris. Ils doivent se positionner sur ce créneau parce qu’il incarne le désir d’un nombre toujours plus important de consommateurs : une traçabilité du produit, local si possible, un respect des cycles liés aux saisons. Autre projet culinaire aux antipodes du modèle industriel, Slow Food est un mouvement gastronomique qui prône une dimension épicurienne de l’alimentation.
Ce mouvement prétend redéfinir une philosophie du bien manger par une promotion du pouvoir sensoriel de la cuisine. Un mouvement qui prend volontiers sa source dans une apologie de la lenteur : être à l’écoute de son organisme au lieu de foncer tête baissée sur la nourriture. En trois mots, plaisir, respect des aliments, éducation des saveurs. La cuisine peut-elle changer le monde ? Pour Carlo Petrini, fondateur du mouvement, la gastronomie « c’est aussi de l’agriculture, du savoir-faire, de l’économie, de la géopolitique ».
Depuis 2006 Slow Food s’engage avec le groupe Coop dans la création de Sentinelles. Elles permettent d’accompagner l’artisanat et les productions locales dans leur cheminement. La production du pain de seigle traditionnel du Valais bénéficie de ce programme, et l’activité a connu un regain d’intérêt qui dépasse à présent les frontières du canton.
Slow Food, c’est 3000 membres suisses à l’heure actuelle, 20 Sentinelles dont 18 créées avec le soutien de la Coop. Confronté à l’uniformisation des produits, voire à leur préfabrication, le goût devient année après année un champ d’investigation culturel doublé d’un enjeu économique, qui permet de confronter les sociétés occidentales à leur grand péché : la vitesse… Plus vous mangez vite, moins la digestion s’opère. Un conseil donc : mangez lentement… et le plus vert possible.
Faustin Rollinat/rédacteur chez Le Monde Economique