Par Mohammed Abdelaziz BENKAMLA – Maitre de conférences à l’université d’Oran 2 – Algérie
Selon ses défenseurs, l’intégration monétaire européenne constitue le projet le plus achevé dans le monde. L’entrée dans l’euro, le 1er janvier 1999, et l’adoption d’une monnaie fiduciaire unique à l’horizon de 2002, constituaient une étape fondamentale vers la mise en place d’un ensemble intégré de plus de 385 millions d’habitants, principale zone économique de la planète, après l’Union européenne de paiements (UEP) créée au début des années 1950.
En revanche, les bilans des deux décennies d’Europe monétaire prouvent, non seulement, la susceptibilité de la monnaie unique face à des crises perturbatrices, mais aussi la souffrance d’une crise conjoncturelle liée principalement à la divergence des situations économiques, politiques, territoriales, culturelles et sociales.
Au départ, l’intégration monétaire européenne est une sorte de préservation de l’Europe des conséquences de la volatilité des monnaies des années 1980, suite à l’instabilité des changes qui a suivi l’effondrement du système de Bretton Woods. Mais après, la stratégie d’intégration monétaire a changé la tendance vers la création d’un bloc économique pour faire face à la concurrence des puissances économiques mondiales telles que les Etats Unies d’Amérique ou la Chine.
Par ailleurs, le passage à l’euro a donné naissance d’une part, à d’autres problèmes difficiles à résoudre définitivement et d’autre part, à des problématiques réelles à savoir ; Quels sont les avantages économiques tirés d’une monnaie unique ? Quelles prérogatives de la Banque Centrale Européenne (BCE) ? Quelles politiques monétaires et économiques doit-on mettre en œuvre pour une Union intégrée et compétitive ? L’élargissement de cette Union est-il favorable pour la monnaie unique ? La sortie d’un pays membre de l’Union européenne, comme l’Angleterre par exemple après le vote du Brexit, est-elle une menace ? Quelle conduite globale peut-être adoptée suite à des crises économiques ou sociales ? Es ce que cette union est une réelle menace à la souveraineté des nations ?
Suite à ces différentes problématiques, liées principalement à l’instauration d’un ordre général, respecté par tous les Etats membres, pour la bonne conduite de la stratégie d’intégration monétaire, l’Euro reste au centre des tensions économiques palpables qui touchent les économies d’une manière fréquente. Alors, il est nécessaire d’intensifier les études prospectives qui donnent des réponses concrètes à deux questionnements :
Si la monnaie unique est adoptée par des pays de nivaux économiques différents, des orientations politiques opposées et des cultures sociales et religieuses divergentes, cela explique les nouvelles inégalités tirées de cette fameuse politique d’adoption de la monnaie unique Euro.
Ensuite, les échecs de la supervision, suite aux menaces répétitives de sortie de cette Union de certains gouvernements, issus des partis politiques opposants à l’idée de l’Euro, ont perturbé les marges de manœuvre de la BCE et la commission européenne surtout en matière du système de sanctions pour les pays dont le déficit budgétaire dépasse 3% du PIB. Ces contraintes avaient imposé la recherche d’une coordination de plus en plus étroite des politiques budgétaires par le moyen de la concentration, mais elle trouvait ses limites avec la remise en cause du pacte de stabilité depuis 2003.
De plus, le niveau de la dette publique qui s’est explosé dans plusieurs pays membres, dépassant le seuil des 60% inscrit dans le pacte de stabilité et de croissance, suite à la crise mondiale de 2008, a rendu ces pays plus vulnérables et les programmes de restructuration, imposés par la Commission Européenne, difficile à les appliquer, suite à l’incertitude et l’hésitation après la pression sociale des citoyens et les partis majoritaires opposants.
D’autres explications, liées conjointement aux déséquilibres économiques entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, le niveau d’inflation dans la zone Euro, la divergence du niveau du salaire minimum, des politiques fiscales non alignées et la délocalisation massive des années 2000, ont rendu l’euro plus déstabilisé. Ce constat a été aussi montré, dans les travaux de Rollet Ph. Et Huart F. cité par Marc Montoussé en 2006 dans son livre Economie monétaire et financière, Edition Bréal, en regard de cinq critères :
Critère | Etat actuel | Perspective |
Mobilité du travail | Faible | Légère amélioration, mais obstacle fondamental des langues. |
Flexibilité des salaires | Plutôt faible | Le grand marché devrait renforcer l’interdépendance communautaire. |
Ouverture des économies | Très élevée mais davantage pour les petites économies que pour les grandes | Le grand marché devrait renforcer l’interdépendance communautaire. |
Diversité des productions | Appareil productif des pays du Nord très diversifié et spécialisation plutôt dépendante de quelques secteurs dans les pays du Sud | Effets ambigus puisque l’intégration favorise le commerce intra-branche ; mais possible à une concentration industrielle et régionale plus forte à l’intérieur de la CEE. |
Intégration fiscale et financière : Par le marché Par un budget communautaire | -Assez forte (marché unique des capitaux) – Budget commun très limité | -Plutôt renforcement -Pas de changement envisagé. |
D’après Rollet Ph. Et Huart F. cité par Marc Montoussé en 2006
L’euro devrait, à terme concurrencer le dollar comme monnaie de réserve et de transaction, et contribuer ainsi à équilibrer le système monétaire international, mais cet objectif a rencontré plusieurs obstacles à maintes reprises, suite à la crise économique mondiale de 2008, la crise de la Russie en 2014, notamment après les sanctions américaines et européennes, l’embargo américain sur l’Iran au début de 2018, Le Brexit en 2020 ou la guerre commerciale actuelle entre les USA et le reste du monde. L’impact direct est très ressenti dans tous les marchés de change après chaque crise, et les pays de la zone euro sont les premiers touchés.
Pour cela, l’analyse minutieuse de ces crises et leurs effets sur la monnaie unique européenne ouvre la perspective de prévoir les alternatives possibles.
Au final, la réunion des crises, d’un ordre conjoncturel implicite ou d’un ordre mondial explicite, a repoussé la concrétisation de l’objectif commun de la communauté européenne et notamment, la réalisation d’une union monétaire solide où l’égalité entre ses Etats est le noyau indispensable.
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