Peter Drucker, le « pape du management », éminent spécialiste de ce domaine et, entre autres, du fonctionnement humain dans les entreprises et des systèmes de valeurs, l’exprime on ne peut plus justement ainsi :
« Un manager n’a qu’une seule personne à diriger : lui-même ».
Toutefois, cette conception remonte à bien plus longtemps, en particulier au fameux « Connais-toi toi-même » de Socrate (et bien d’autres philosophes), qui présidait à la découverte de l’homme par lui-même. Un long chemin, qui peut être le chemin d’une Vie. Selon les interprétations de l’époque, ce « connais-toi toi-même » se lisait en particulier comme « connais ton ennemi comme toi-même », l’ennemi en question, vous l’aurez compris, étant précisément soi-même…
Mais nous pouvons remonter encore plus loin dans le temps, puisque les Chinois, dans le Tao-Te-King, exprimaient qu’une décision ne pouvait se prendre que dans « l’unité tête-cœur-corps ». Ceci est fondamental pour les sophrologues en particulier, qui affectionnent souvent ce concept de « l’homme chinois », datant de… 6000 ans !
Mais il est temps de revenir à notre « manager émotionnel » d’aujourd’hui. Pendant longtemps, dans ma propre carrière, j’ai trouvé bon de me mettre à la place des gens, d’épouser leur souffrance en quelque sorte, comme si j’étais leur papa ou leur parrain, comme si j’en avais charge, bref, comme si j’étais un peu le Messie. Cette idée est assez séduisante, avouons-le, mais, dans le domaine du management, elle est dangereuse, très dangereuse.
Car on est porté ainsi à faire plaisir, et c’est très gratifiant, « faire plaisir ». J’en étais ainsi arrivé à défendre la position des gens, pour leur salaire par exemple, ou pour dégager certains moyens, avec tellement d’enthousiasme et d’application que le l’obtenais presque à chaque coup. Et j’en étais fort satisfait !
C’est beau, l’altruisme, mais je devais réaliser plus tard, au gré de mes lectures et de mes formations, qu’il ne s’agissait guère là que d’une manifestation de l’ego. On se satisfait soi-même en satisfaisant les autres…
Sauf qu’ainsi, on s’oublie soi-même et on tombe dans le paradoxe : en s’oubliant soi-même, on tend vers la stérilité. Le myope sans lunettes que l’on devient s’aventure ainsi en terrain spongieux.
Car, lorsque les affaires se gâtent, devinez qui savonne la planche ? Celles et ceux que vous aurez le plus soutenu, évidemment !
Bon, allez, je vous le concède, le trait est un peu forcé et frôle le manichéisme. Mais ce qui est intéressant à retenir ici, c’est que si l’on accepte d’être une éponge, il se trouve bien des mains habiles pour vous presser.
Et, lorsque vous n’avez plus de jus, à quoi voulez-vous servir ? Comment voulez-vous ainsi servir votre cause ? Car il s’agit bien de cela : ruiner votre énergie est nuisible. Cet ego-là est donc bien mal placé, puisque s’il s’agit de penser à soi, c’est plutôt raté. L’autosatisfaction est facile, mais fugace autant que stérile.
Ainsi, celle ou celui qui maîtrise le management émotionnel doit.il penser à lui d’abord. A se préserver, afin de garder suffisamment de « jus » pour le long cours et « servir » sur le long terme, pour le bien de son team et de l’entreprise.
Bien sûr, la pression multiformes subie de nos jours pousse à une action à court terme. Très court terme.
Et là se referme le piège, car la « réactivité » ne saurait se passer de « proactivité ». Il est vital de garder une vision à long terme afin de déterminer « justement » l’action immédiate. Imaginez-vous de sauter par-dessus un mur sans savoir ce qu’il y a derrière ? Oui, si vous êtes poursuivi par une meute de bouledogues furieux. Mais sinon, non, en aucun cas. Ainsi peut-on illustrer cette forme de management à courte vue.
Il ne s’agit donc pas de laisser parler de quelconques émotions pour favoriser autrui, ou surréagir à un imprévu, mais de « ressentir » ce qui est juste. Souvenez-vous : « unité tête-cœur-corps ». La Science identifie aujourd’hui que nous avons « plusieurs cerveaux »… alors peuvent-ils, doivent-ils fonctionner séparément les uns des autres ? Que voilà une surprenante connexion avec notre ancêtre chinois d’il y a 6000 ans !…
Ainsi est faite la boussole émotionnelle, il s’agit de « sentir », de savoir humer, de ne décider à court terme que si une ligne directrice nous guide. Chris McSorley, entraîneur « à vie » du Genève-Servette HC, l’explique très bien à sa façon : « (…) cela implique de prendre des risques, mais le « flair » se développe avec l’expérience. Il faut simplement trouver le bon équilibre. La ligne est fine entre génie et stupidité ».
Pour aujourd’hui, en attendant le plaisir de pouvoir approfondir ces thèmes passionnants, je vous propose de terminer cette rubrique comme nous l’avons entamée, par une citation de Peter Drucker :
« La stratégie, c’est l’art de faire face à son destin ».
Marc Maillard
Pour approfondir les sujets bien rapidement évoqués aujourd’hui, voici quelques pistes :
Peter Drucker (1909-2005) est l’auteur de nombreux ouvrages, dont beaucoup sont traduits en français, par exemple « L’Avenir du management », édité par l’auteur, 2000.