Photo Sofia Meyer Co-Fondatrice © les jus d’Opaline
Monde Economique : Quelles leçons tirez-vous de cette crise sanitaire ?
Sofia de Meyer : Plus que des leçons à tirer, cette crise sanitaire a confirmé les valeurs qui me guident depuis 10 ans pour développer mon entreprise Opaline à tout point de vue. Ces valeurs se résument en 3 mots-clés : local, écologique et solidaire. La crise sanitaire démontre que l’économie au niveau étatique, national et international, peut œuvrer au service d’une responsabilité collective, et pleinement sociale. À nous de poursuivre dans cet élan.
J’ai rédigé pendant le premier confinement un essai engagé qui s’intitule « À notre portée ». Je l’ai écrit pour toutes celles et ceux qui portent l’envie d’agir, mais « pas comme avant ». Car il faut résister avec un grand NON. Non au retour vers la quête de la performance nourrie de compétition au détriment de notre santé, physique et spirituelle, de celle de nos enfants, de nos aînés et des plus démunis ; au détriment de nos écosystèmes et finalement, au détriment de notre avenir sur Terre. Cet essai est tant un appel à l’éveil dans sa dimension résiliente qu’un acte de résistance.
Monde Économique : Certains experts militent désormais pour des liens plus forts avec la collectivité et estiment que le local sera le bon levier pour la relance économique. Qu’en pensez-vous ?
Sofia de Meyer : Le local est l’axe principal de notre modèle d’affaires, en amont et en aval. En s’approvisionnant à plus de 85 % avec des matières premières provenant de moins de 25 km du site de fabrication, nous défendons plusieurs engagements qui nous tiennent à cœur : le soutien à l’activité agricole de notre région, la transparence sur l’origine des fruits et légumes que nous transformons et bien entendu, la maîtrise d’une empreinte carbone limitée.
En aval, Opaline a tissé des liens très forts avec les distributeurs de boissons de notre pays. Nous avons fait le choix il y a 10 ans de ne vendre nos jus que sur le territoire suisse, et de privilégier les réseaux de distribution indépendants. Épiceries, cafés, restaurants, entreprises, sites de vente en ligne locaux, nous connaissons le nom de chaque personne qui défend à la vente les valeurs des jus et des limonades d’Opaline ; à l’inverse, nous n’avons aucun secret pour eux. Nous travaillons main dans la main. Dans le contexte actuel, la qualité des liens humains est inestimable dans le soutien de nos activités. Aucun plan marketing ne vaut la confiance ! Le local est le reflet d’un monde qui est à notre portée. Un monde qui plaide pour l’intelligence collective.
Monde Économique : Que manque-t-il aujourd’hui aux entreprises pour agir ?
Sofia de Meyer : Rien. Nous avons tout sous la main. Techniquement, il ne manque rien aux entreprises pour agir. En se considérant comme un maillon de la chaîne et non pas comme un prescripteur, l’entreprise est un espace de concrétisation qui répond à la demande des consommateurs. C’est en se mettant à l’écoute de sa communauté de clients et de ses partenaires que l’entreprise doit agir, en conscience, pour construire une société qui s’inscrit au cœur d’une économie régénératrice : qui crée plus de valeurs qu’elle n’en dépense, dans laquelle la collaboration et la solidarité priment sur la compétition, où la loi du plus fort laisse place à l’intelligence collective, où la nature humaine, dans toute sa dimension, reprend sa place.
Monde Économique : De nombreuses initiatives sociales et solidaires ont émergé durant cette crise, laquelle a retenu votre attention ?
Sofia de Meyer : Toutes ont retenu mon attention et je ne citerai pas l’une plus que l’autre. Je parlerai plutôt de l’élan citoyen, de la solidarité. Je pense à ce jeune couple par exemple qui, dans leur immeuble, a mis un petit mot sur la porte de TOUS leurs voisins pour leur dire : « Nous avons 25 ans. Nous sommes en bonne santé et sans pathologie à risque. Nous sommes prêts à vous aider, pour faire des courses, aller à la pharmacie, pour garder vos enfants et les aider avec leurs cours en ligne, et aussi tout simplement pour parler un petit moment. Ne restez pas seuls, ne restez pas dans la difficulté. Vos voisins… » et ils ont écrit leur nom et leurs numéros de téléphone. Ce geste, ces mots, cette attention nous touchent car ils viennent du cœur et c’est absolument cette intention qui doit animer nos entreprises. C’est ce point-ci qui a retenu mon attention.
Monde Économique : Pour des entreprises telles qu’Opaline, qui ont misé pour un ancrage local, quelles sont les perspectives après le Covid-19 ?
Sofia de Meyer : Les mêmes qu’avant le Covid. Chez Opaline, nous n’avons jamais tiré de plan sur la comète en fantasmant sur notre avenir. Avec un mode de gouvernance terre à terre, nous nous rappelons chaque jour que nous sommes des citoyens et des consommateurs comme les autres. Nous évaluons nos besoins personnels pour les projeter dans notre prospective entrepreneuriale. Ce principe de réalité est au cœur de l’animation de communauté clients d’Opaline. Cette approche, dont on nous dit souvent qu’elle est disruptive, a pour mérite de grandir « naturellement » comme les fruits de nos jus !