Les récentes élections législatives au Royaume-Uni ont conforté David Cameron comme Premier Ministre. S’il est désormais en mesure de poursuivre sa politique économique de sortie de crise, il va surtout devoir faire face à un engagement hérité de son précédent mandat : la soumission au vote référendaire en 2017 d’une possible sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Cette question est loin d’être anodine, pour l’avenir du Royaume-Uni mais aussi pour celui de l’UE.
En ce qui concerne le Royaume-Uni, ce « Brexit » éventuel est l’aboutissement d’une posture réticente à l’égard de l’intégration européenne, que les Britanniques ont défendu dès 1957. Très soucieux de leur souveraineté nationale et très méfiants à l’égard du principe de supranationalité, ils ont privilégié dans les années 1960 l’adhésion à l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE) plutôt qu’à la Communauté Economique Européenne (CEE). Malgré leur adhésion à cette dernière en 1973, ils ont souvent défendu le principe d’une intégration européenne minimaliste (tel le refus de l’euro), voire ont cultivé un esprit eurosceptique : la célèbre phrase de Margaret Thatcher « I want my money back », en est l’illustration. Ainsi, le référendum sur le « Brexit » laisse sous-entendre qu’il ne serait finalement pas coûteux pour les Britanniques de sortir de l’UE, d’autant que le Royaume-Uni et l’UE trouveraient sans problème d’autres modalités d’intégration, comme la Suisse l’a fait dans les années 1990.
Pour autant, ce point doit être largement nuancé, car le contexte n’est plus le même. Dans un travail récent, Laetitia Guilhot et moi-même avons montré que les échanges de biens (voir graphique ci-dessous) et de services avec l’UE restent majoritaires :
Exportations britanniques de marchandises vers ses principaux partenaires commerciaux, en %
(1980-2011)
Source : Guilhot & Vallet (2013).
Surtout, la force des liens reliant le Royaume-Uni à l’UE est plus prononcée que pour ceux avec le reste du monde : même si l’UE ne fonctionne pas comme un « club » fermé, une sortie serait préjudiciable car elle modifierait cette force des liens. De plus, compte tenu de la spécialisation financière britannique, la situation actuelle est la plus optimale : il bénéficie suffisamment de l’intégration financière de l’UE en tant que membre, mais sa non adhésion à la zone euro lui offre un avantage supplémentaire. En somme, le statu quo est la meilleure des situations pour le Royaume-Uni, pas le « Brexit ».
Mais la sortie éventuelle du Royaume-Uni de l’UE n’est pas non plus souhaitable pour l’UE. Certes, les Britanniques sont des « réticents européens » comme nous l’avons précisé. Mais leur poids dans l’UE est déterminant malgré tout, que ce soit sur les plans économique et politique. Sur le premier plan, le Royaume-Uni est la 5ème plus importante économie au monde, et demeure le 11ème exportateur mondial de marchandises et le 5ème importateur mondial. L’UE a intérêt à conserver et à renforcer un commerce sans entraves avec cette économie. Sur le second plan, le Royaume-Uni apporte un équilibre des forces dans l’UE, notamment vis-à-vis du couple franco-allemand : si celui est historiquement moteur et doit le rester, la présence britannique introduit une relation triadique qui permet de sortir d’une orientation « hégémonique » de l’UE impulsée par l’Allemagne et la France.
« Last but not least », une sortie de l’UE d’un pays de l’importance du Royaume-Uni porterait un coup fatal au projet européen. Bien plus que le « Grexit », le « Brexit » mettrait un terme définitif à l’idée d’irréversibilité de la construction européenne, et de sa dynamique intégratrice historique fondée sur l’élargissement et l’approfondissement. Elle institutionnaliserait la possibilité d’une « UE à la carte », donc de la possibilité d’une non unicité et unité – qui existent déjà bien sûr, mais qui seraient cette fois « officielles » – de ce projet.
L’avenir reste en conséquence très incertain, même si je considère que les Britanniques vont sortir de l’UE. Et ce sera leur choix souverain, dimension qui manque cruellement dans le projet d’intégration européenne.