Pourquoi il est impératif pour les 8 premiers producteurs mondiaux de Cacao de créer l’OPEP du Cacao

14 juillet 2024

Pourquoi il est impératif pour les 8 premiers producteurs mondiaux de Cacao de créer l’OPEP du Cacao

Graphique © R. Ntennou

Par Romuald NTENNOU, Spécialiste en finance et MBA en Management et Leadership

Romuald Ntennou ©

Le 1er avril 2024, le prix bord-champ du cacao en Côte d’Ivoire est passé de 1000 à 1500 FCFA le kilo (soit de 1.52 à 2.28 EUR). C’est le prix payé aux exploitants de plantations de cacaoyers. Il faut dire qu’en Côte d’Ivoire, c’est l’État qui à travers son Conseil Café-Cacao (CCC) fixe pour chaque période de deux ans le prix d’achat perçu par les cultivateurs de cacao. Le cacao représente 15 % du PIB ivoirien et fait vivre près d’un quart de la population. La récolte et le séchage des fèves nécessitent une main-d’œuvre importante. Hormis quelques pays comme le Brésil, où il est transformé et consommé sur place, le cacao est essentiellement une culture d’exportation, souvent sous forme de fèves non transformées.

Durant ce même mois d’avril 2024, le prix moyen de la tonne de cacao à l’ICE

Futures US (New York) était de 9876.58 USD/tonne selon l’International Cocoa Organization (ICCO). Et pourtant les planteurs de cacao ne bénéficient pas de cette envolée des prix.

Evolution des prix moyens mensuels de cacao de janvier à mai 2024 (Source ICCO).

Evolution du prix bord-champ (en francs CFA) du kilogramme de cacao en Côte d’Ivoire de 2012 à 2021

La question que vous vous posez certainement et qui est tout à fait légitime est : « dans quelles poches va la différence entre le prix dit bord-champ payé aux planteurs et le prix boursier du cacao sur les marchés de Londres ou de New York ? ». Et la réponse est : dans la poche des sociétés de trading et des multinationales comme Barry Callebaut, Cargill, Olam, Bloomer, Guan, Mars, Mondelez, Nestlé, Ferrero, Meiji, Hershey, Lindt qui contrôlent près de 75% du commerce mondial de cacao et sa transformation.

Le cacao est majoritairement cultivé en Afrique de l’Ouest, et consommé en Europe ou aux Etats-Unis. Mais depuis une dizaine d’années, les prix sont tirés à la hausse par une demande croissante des pays comme la Chine, la Corée du Sud, le Japon et les pays du golfe. La Côte d’Ivoire et le Ghana sont de loin les deux plus gros producteurs de cacao au Monde. Ces deux pays contrôlent près de 60% de la production mondiale de cacao. Avec la flambée des prix des cinq dernières années sur les bourses de Londres et New York, on se serait attendu à ce que les cultivateurs de cacao roulent sur l’or, pourtant il n’en est rien. Lorsque vous vous rendez à Abidjan ou à Accra, l’amélioration de la vie de ces travailleurs de l’ombre et de leur famille ne saute pas aux yeux. 

Cette situation est très similaire à celle des pays producteurs de pétrole de la fin des années cinquante. En effet, les pays producteurs de pétrole ne touchaient qu’une infime partie du prix des cours mondiaux du pétrole jusqu’en 1960 lorsque qu’à Bagdad, l’Irak, l’Iran, le Koweït, l’Arabie saoudite et le Venezuela décident de créer l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dans le but de coordonner leur politique pétrolière et garantir des prix équitables et stables pour leur pays. 

A ce jour, l’OPEP compte 13 Etats membres : Algérie, Angola, Arabie Saoudite,

Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée Équatoriale, Iran, Irak, Koweït, Libye, Nigéria, Venezuela. Les pays non-membres de l’OPEP qui font partie de l’alliance mondiale OPEP+ sont représentés par la Russie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, Bahreïn, Brunei, la Malaisie, le Mexique, Oman, le Sud-Soudan et le Soudan.

Les exportations des États membres de l’OPEP et ses alliés représentent environ 60 % du commerce mondial du pétrole. En 2021, l’OPEP et ses alliés ont estimé que ses pays membres représentaient plus de 80 % des réserves prouvées de pétrole dans le monde.

Aujourd’hui, chaque fois que les membres de l’OPEP se réunissent pour décider de leur production commune de pétrole, c’est le monde entier qui est suspendu à leur communiqué final. C’est dire l’importance de cette organisation dans l’économie mondiale. 

Nous savons tous quelle est la contribution du pétrole dans le PIB des pays membres de l’OPEP et ses alliés et comment cette manne a transformé l’économie de certains de ces pays. Pourquoi ne serait-t-il pas de même pour les pays producteurs de cacao alors que les pays comme le Brésil, l’Equateur, et l’Indonésie investissent massivement dans la production de cet or brun ? L’Equateur s’est fixé pour objectif de rattraper, voire de dépasser le niveau de production du Ghana d’ici à 2030. Et le Brésil espère doubler sa production d’ici à la fin de la décennie et recommencer à exporter.

Comme je l’ai souvent dit dans mes articles sur l’économie africaine, l’Afrique ne se développera que si elle transforme surplace au maximum ses matières premières avant de les exporter. Ceci est également vrai pour la fève de cacao.

Imaginons que les 8 pays suivants : Côte d’Ivoire, Ghana, Equateur, Cameroun, Nigéria, Brésil, Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée décident de créer une organisation ayant pour but de définir les volumes de cacao qui seront mis sur les marchés chaque année par chacun des pays producteurs, du pourcentage du prix du cacao de l’ICE Futures US (New York) et de l’ICE Futures Europe (London) qui sera reversé à leur pays pour l’achat du cacao avant embarquement. Pourcentage qui sera lui aussi fixé chaque année. Ces 8 pays contrôlent plus de 85% de la production mondiale de cacao et chaque fois qu’un autre pays producteur veut entrer dans l’organisation, il s’engagera à respecter la charte. Ce serait un bouleversement systémique avec des retombées financières et économiques énormes pour les pays producteurs de cacao.

Imaginons aussi que la banque centrale de chacun des pays membres de l’organisation fassent des placements dans des stocks de cacao au même titre qu’elles le font avec l’or. Elles peuvent construire des entrepôts à travers le pays pour la gestion des stocks stratégiques de cacao qui seront ou non mis sur le marché en fonction des cours boursiers pour stabiliser les prix et en tirer des revenus en devises. Aujourd’hui ces stocks sont constitués et gérés par les sociétés de trading et les multinationales citées plus haut dans le texte. C’est pour cette raison que sont elles qui tirent les marrons du feu et se goinfrent au détriment des ces planteurs laborieux de cacao et des pays producteurs.

L’idée de la mise en place d’une telle organisation ne consiste pas à tuer la poule aux œufs d’or, mais à stabiliser les prix mondiaux à un niveau équitable par une bonne maîtrise des volumes de cacao mis les marchés comme le font les pays de l’OPEP. Tout en faisant revenir dans les caisses des pays producteurs de cacao et donc dans la poche des planteurs, une bonne partie des prix mondiaux qui actuellement leur échappe au profit des traders spéculateurs et des multinationales.

Nous savons que le cacao n’est pas un produit essentiel au même titre que le pétrole et qu’il est possible de faire du chocolat avec très peu de cacao même si la qualité gustative sera moindre. Donc l’objectif de l’organisation sera de faire en sorte que les produits à base de cacao restent accessibles au plus grand nombre de consommateurs, que ces produits ne deviennent pas un produit de luxe réservé à une minorité aisée au risque de voir une destruction de la demande par le prix exagérément élevé de la matière première. La stabilité des prix grâce au contrôle des volumes par les pays producteurs et non par les traders et les multinationales est la clé.

Les pays africains et ici les pays producteurs de cacao doivent apprendre à nouer des partenariats stratégiques pour défendre leurs intérêts au niveau mondial, avec une vision claire et une détermination sans faille. Certains dirigeants africains pèchent par naïveté, par ignorance, parfois par cupidité et complicité, ou se soumettent à une sorte de servitude volontaire. Ils ne comprennent pas que personne ne viendra les aider, personne ne viendra développer leur pays à leur place. Lorsqu’un autre état vous aide, c’est pour vous maintenir dans une position de redevabilité. Comme disait le général De Gaulle, « entre les Etats il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts ». Ce ne sont pas les multinationales ou les sociétés de trading dont les bénéfices sont pour l’essentiel rapatriés sur les comptes bancaires de leur maison mère en Europe ou en Amérique du Nord si n’est dans les paradis fiscaux, qui vont venir vous dire de créer une telle organiation. Vos intérêts ne sont pas les leurs. Si les pays membres de l’OPEP avaient attendu des conseils des pays dits « amis », de ces traders ou de ces multinationales pour créer leur organisation, ils auraient attendu bien longtemps et l’OPEP a ce jour n’aurait pas été créée.

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