QUAND LA NOSTALGIE MOBILISE POUR CONSOMMER

8 février 2016

QUAND LA NOSTALGIE MOBILISE POUR CONSOMMER

On la croyait l’apanage des seules âmes poétiques et légèrement mélancoliques, on la décrivait comme un sentiment aigre-doux aux effets gentiment démoralisants – et voilà que, depuis un certain temps, on se rend à l’évidence : la nostalgie non seulement ne démoralise pas mais… elle mobilise ! Elle mobilise pour l’achat, elle pousse à l’acquisition d’objets et de produits portant les codes et les signes forts d’un passé qui est cher au consommateur et qu’il s’agit de faire revivre au présent.

Et ce n’est pas le titanesque succès planétaire de la Guerre des étoiles qui va témoigner du contraire ! La saga de George Lukacs sortie pour la première fois à l’écran en la lointaine 1977 et ayant traversé les années 80 puis les autres décennies comme une brillante comète vers laquelle se levaient tous les regards, a encore drainé vers les salles de cinéma, presque 40 ans plus tard après son début, des millions de spectateurs du monde entier. Le public du Réveil de la force, la nouvelle édition de la célèbre saga, était intergénérationnel : des nostalgiques et des fans de la première heure se mélangeaient avec des jeunes d’aujourd’hui, souvent leurs propres rejetons ; des familles entières communiaient dans les aventures de Luke Skywalker, de Leia Organa, et Han Solo, les générations se réconciliaient devant un et même fantasme spatial tout en baignant dans un puissant sentiment de continuité et de durabilité. Une durabilité dans le temps et… dans l’espace, bien évidemment – un peu à l’image des étoiles que la saga infinie de G. Lukacs met en scène pour le plus grand bonheur de jeunes et de vieux, de nostalgiques et de futuristes.

Le marché de la nostalgie surfe avec succès sur ce besoin psychologique de rapprocher les temps, il s’appuie sur la nécessité de réconcilier le présent et le passé, de retrouver ses repères dans l’instant actuel, exigeant et sévère, en utilisant les codes d’un antérieur, familier et bienveillant, quant à lui. Le consommateur-type de produits du passé serait dans ce sens, d’après le site E-marketing.fr, le client urbain d’un âge allant de 40 à 55 ans qui, ayant grandi dans les Trente glorieuses et baigné dans un climat de confiance dans l’avenir, a du mal à assumer ses désillusions face à certaines réalités du troisième et cherche des moyens à remédier à sa déception en se réfugiant dans le passé.

En réponse aux besoins de ces consommateurs, on multiplie les articles ainsi que les événements « retro » – les rétrospectives, les albums souvenirs, les diverses célébrations, sans parler des grandes « traversées » commémoratives qui s’imposent à la suite du décès de telle ou telle grande personnalité ayant marqué de son œuvre et de son style une époque passée. Tout récemment, la mort de David Bowie a déclenché une avalanche de réminiscences médiatiques non seulement du chanteur lui-même mais aussi des années 70 et 80 dont il était une des figures les plus emblématiques. Côté rock encore, rappelons que de grandes stars actuelles telles qu’Adèle ont débuté leur carrière en empruntant le style musical des années 60 voire 50 – et ce n’est pas sûr qu’à ce jour elles s’en sont totalement émancipées.

Oui, la nostalgie est le plus souvent vécue par les sens et, liée à la perception auditive, la musique est seulement l’un de ses vecteurs sensoriels : odeurs, couleurs et saveurs entrent également en jeu. Alors, on essaie de recréer ces coloris flashy des années 70 et 80 qui font tellement défaut à notre époque de sobriété et d’austérité omni- régnante, on essaie de retrouver ces parfums spécifiques qui renvoient à l’âge d’or de la première jeunesse (même si elles doivent émaner du plus vulgaire déodorant !) et on goûte les yeux fermés et les sens remplis de bonheur les « madeleines , ces pâtisseries d’« antan » qui, depuis Proust mais sans doute bien avant lui, savent si bien catalyser les souvenirs et restituer tout le charme du passé.

On s’en doute déjà, ce n’est pas la production en masse qui va répondre aux attentes des consommateurs en quête des signes forts du passé. Une demande si psychologique, émotionnelle et sensorielle se situe dans une niche à part où ne peuvent, le plus souvent, intervenir que des PME spécialisées et motivées parfois par la même raison que leurs clients : la nostalgie du passé. Ce même « objet du désir » dans lequel communient producteur, distributeur et consommateur, cette communauté des intérêts est plus que bénéfique pour la vente qui, loin des grandes surfaces ou alors seulement dans les linéaires de celles-ci, s’effectue dans des lieux particuliers, parfois même assez branchés, et essaie de laisser l’impression d’un négoce rare et exceptionnel. On lance des séries limitées et numérotées, on pratique le bouche-à-oreille. Enfin… on fait comme dans le passé.

 

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