Quel est le risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme par les cryptomonnaies pour la Suisse ?

19 mai 2019

Quel est le risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme par les cryptomonnaies pour la Suisse ?

Par Diane Aguayo

Le bitcoin et autres cryptomonnaies seraient à la base de l’économie du futur. C’est en tout cas le pari que la ville suisse de Zoug s’est lancée. Le cadre social, juridique et fiscal de la ville attire de nombreuses start-ups et fournisseurs de services financiers spécialisés dans le développement de ces technologies. Pour mieux comprendre les enjeux de ce pari, revenons sur ce que sont les cryptomonnaies, la technologie de la blockchain qu’elles sous-tendent et sur les risques potentiels de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme que ces nouvelles technologies soulèvent.

Qu’est-ce qu’une crypto monnaie ?

Une crypto monnaie ou « monnaie virtuelle » telle que le bitcoin, peut se définir par plusieurs caractéristiques :

  • Elle se trouve exclusivement sous forme virtuelle, sans aucune existence physique.
  • Elle s’adosse à la technologie dite « blockchain », véritable base de données décentralisée compilant toutes les transactions déjà réalisées et les valeurs s’y trouvant au sein d’une « chaîne de blocs ».
  • La technologie blockchain permet de stocker des données qui ne sont, par la suite, plus modifiables ni supprimables. C’est cette propriété de la blockchain qui fait qu’un bitcoin ne pourra pas être dupliqué, évitant ainsi les contrefaçons numériques. En Suisse, cette propriété de la technologie blockchain est notamment utilisée dans l’e-voting.
  • Le négoce des monnaies virtuelles se fait de manière décentralisée, en l’absence d’intermédiaires tels que les banques centrales.
  • Les monnaies virtuelles n’émanent pas d’un ou plusieurs Etats.
  • Avec des frais de transaction quasi-nuls, le négoce des monnaies virtuelles offre la possibilité de transférer des fonds tout en conservant l’anonymat et représente donc des risques accrus de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Quel est le risque de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme par les cryptomonnaies pour la Suisse ?

Le Bitcoin et le risque de blanchiment d’argent

La technologie sous-jacente aux cryptomonnaies constituent une menace nouvelle de par l’anonymat des pourvoyeur et destinataire de fonds, la rapidité et la mobilité des transactions de monnaies virtuelles. Or de plus en plus d’intermédiaires financiers en Suisse acceptent de changer des monnaies virtuelles contre de l’argent scriptural ou liquide, facilitant ainsi l’intégration de profits illicites en monnaies virtuelles dans l’économie réelle. Autrement dit, la conversion accrue des bitcoins en devises officielles contribue aux activités de blanchiment d’argent.

Néanmoins, le nombre de cas de blanchiment d’argent par les cryptomonnaies connus des autorités suisses est peu important. Aucun cas de financement du terrorisme par ce biais n’a pu être répertorié jusqu’à ce jour en Suisse. Mais difficile de savoir si le risque réel est faible ou s’il est le résultat des difficultés d’identification des transactions sous forme de cryptomonnaies… Face à l’engouement croissant pour les monnaies virtuelles et le risque subséquent de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, quelles sont les bases légales encadrant leur utilisation en Suisse ?

Quand l’innovation est moteur de la régulation

Le droit suisse des marchés financiers ne contient aucune disposition concrète sur les monnaies virtuelles. Les pouvoirs publics se doivent de ne pas rester en retrait et d’accompagner ces innovations par une régulation adaptée. Tant l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (« FINMA ») que le Conseil fédéral soutiennent la création de bases légales adaptées pour les monnaies virtuelles. Or l’absence d’intermédiaire financier permettant de vérifier l’identité du cocontractant, l’ayant droit économique, l’origine ainsi que le destinataire des fonds rend la Loi sur le blanchiment d’argent (« LBA ») du 10 octobre 1997 obsolète. Les personnes offrant des prestations de conservation et des services de paiement en monnaies virtuelles sont assujetties aux règles de la LBA. Dès que des auteurs d’infractions patrimoniales tentent de déposer des bitcoins convertis en monnaies officielles auprès d’une banque en Suisse, la LBA s’applique pleinement.  Aussi, et sur base de recommandations faites à la Suisse par le GAFI, un avant-projet du Conseil fédéral représentant une modification conséquente de la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (« AP-LBA ») a été soumis à consultation en 2018. Parmi les nouvelles mesures, retenons celles qui peuvent directement s’appliquer à l’utilisation des monnaies virtuelles :

  • En cas de soupçon de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, le conseiller aura une obligation de refuser ou de rompre la relation d’affaires plutôt qu’une obligation de communiquer imposée uniquement aux intermédiaires financiers (art. 10b AP-LBA) ;
  • L’AP-LBA prévoit également l’obligation expresse de vérifier les informations concernant l’ayant droit économique.

Un des objectifs principaux est la désanonymisation des transactions de monnaies virtuelles limitant ainsi les transactions illicites.

Conclusion

Le potentiel de développement des monnaies virtuelles est important, et justifie l’élaboration d’un cadre juridique et légal qui permette de favoriser l’innovation tout en prévenant les dérives. Les pouvoirs publics doivent ainsi mener dans la durée un véritable travail de veille et de réflexion sur les monnaies virtuelles, et continuer à informer les utilisateurs autant sur les risques que sur les droits associés. Or les monnaies virtuelles sont par définition des monnaies sans frontières. L’expansion continue de leur usage, la multiplication des métiers qui s’y rattachent ainsi que le potentiel de croissance économique qu’elles représentent appellent à mettre en place une régulation au niveau international, condition sine qua non de son efficacité.

 

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