Nous poursuivons et achevons notre chronique sur l’apprentissage chez l’adulte illustré au moyen de l’élitiste Executive Master of Business Administration (EMBA) et abordons à présent la reprise d’études et quelques conseils pendant la formation.
Un paradoxe oppose nos sociétés actuelles en mode d’apprentissage à vie, au traditionalisme du système institutionnel de l’enseignement supérieur. Alors que les enseignants pourraient accompagner et s’adapter au changement identitaire de l’étudiant, je relève d’une part la positive combinaison de son but d’acquisition et de son but de performance (Dupeyrat et coll., 2004), puis d’autre part, la dimension politique et sociale de l’intérêt émancipatoire et de son intégration (Jouy, 1997). L’adulte en reprise d’études ne mérite-t-il pas de bénéficier d’institutions adaptées à ses besoins cognitifs et relationnels de surcroît munies d’enseignants enclins à traiter leurs étudiants comme des cocréateurs possédant une expérience antérieure à légitimer ? Je le pense sincèrement et l’estime nécessaire.
La reprise d’études des adultes se révèle bien moins commune en Europe qu’outre-Atlantique où le profil des étudiants universitaires d’aujourd’hui se distingue par la présence d’adultes animés par un objectif concret. Ainsi, les étudiants d’hier avides de connaissances ont laissé place à des apprenants adultes qui suivent une formation universitaire avec un but presque exclusivement professionnel renforcé par la « formation tout au long de la vie » (Solar et Hébrard, 2008).
En Europe, malgré la création de programmes spécifiquement dédiés à l’adulte, comme l’executive MBA notre exemple, il s’avère souvent que seul son nom le différencie des autres programmes de formation. L’apprentissage à vie demeure un défi à relever pour l’enseignement supérieur, car effectivement « plus le secteur de l’enseignement supérieur est noble, plus il s’intéresse à la jeunesse » (Teichler, 1999). L’analyse de la configuration des programmes et les modes d’enseignements démontrent la nécessité de prestations réellement spécifiques. Ainsi, l’enseignement à distance, à temps partiel, en alternance, les cours du soir, les cycles courts et uniques et l’apprentissage discontinu se distinguent de l’enseignement à plein temps dispensé aux jeunes étudiants en formation initiale. Cette segmentation permet une adaptation au public visé (Knapper et Cropley, 1991). Mais l’enseignement supérieur n’occupe pas de rôle stratégique dans la formation professionnelle continue de ses diplômés. Si l’on ajoute à cela le débat politico-financier relatif à l’utilisation des fonds publics, dans son rôle exclusivement dispensateur d’enseignement initial et de recherche, on en déduit logiquement que la formation professionnelle continue est, par conséquent, une charge d’ordre privé.
Il est intéressant de s’interroger sur la transformation identitaire qu’engendre la reprise d’études supérieures des adultes. Alors que les deux sociologues français, Bertaux (1976) et Bourdieu (1986) prônent la continuité, deux ethnologues français évoquent, d’une part pour Augé (1982), une conversion et, d’autre part pour Van Gennep (1981), une rupture. Ainsi, le retour aux études se compte au pluriel, et ce, du simple fait que même si la reprise d’études est l’action d’un adulte qui entreprend une formation supérieure, les causes qui définissent son comportement sont de natures différentes. Une réflexion personnelle sur votre trajectoire prenant en compte votre parcours privé et professionnel (familiale, socioprofessionnel et formation initiale et continue) vous permettrait de mieux vous situer et d’appréhender ce retour aux études sereinement. N’omettons pas la contribution de la reprise d’études aux logiques de restructuration existentielles et retenons que le retour aux études trahit des recherches de socialisation nouvelles (Fond-Harmant, 1993).
En terme pratique, il en découle que les enseignants d’adultes composent avec des étudiants qui subissent un changement identitaire, qu’il s’agisse d’une continuité, d’une conversion ou d’une rupture. Ce processus induit un comportement spécifique de l’enseignant à détecter et une stratégie d’enseignement à adapter. D’où l’importance du choix du programme et de l’établissement, traité dans mon précédent article.
Revêtir l’habit de l’étudiant une fois la porte de la classe passée n’est pas chose aisée lorsque l’on est manager ou directeur avec de nombreuses responsabilités au quotidien. S’autoriser une remise en question, se libérer de ses certitudes et croyances pour permettre l’apprentissage, s’engager dans une pratique réflexive, partager et échanger avec ses pairs pour une cocréation et s’organiser un temps prédéfini pour étudier requièrent de préalablement informer et expliquer à son entourage, professionnel et privé, la nature de sa situation nouvelle. Cette étape est une des clés de votre réussite, le courage en est une autre.
Isidore de Séville, sage encyclopédiste du VIe siècle, a dit un jour : « Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Puisse cette citation traverser encore plusieurs siècles pour encourager l’excellence et le savoir ! La période estivale approchant à grands pas, mes articles des trois prochains mois arboreront, comme une pause, les couleurs de l’été…
Dr. Anne Mai Walder / Expert pour le magazine Le Monde Economique / www.WalderPublications.ch