Réforme LPP : Et si on parlait des 35 milliards de rentes versées en plus pour les générations futures

11 septembre 2024

Réforme LPP : Et si on parlait des 35 milliards de rentes versées en plus pour les générations futures

Photo A. Canonica © FCG

Par où commencer dans un sujet si controversé, là où la politique diffuse des chiffres pour faire sensation et les experts ne sont plus écoutés ni lus ! En agissant plus tôt, les politiciens qui sont contre la réforme auraient permis aux citoyennes et citoyens de se forger leur propre idée sur le sujet, de s’informer et de mieux comprendre les enjeux. Dans l’urgence, les gens ont tendance à voter « NON » pour éviter de prendre une décision qu’ils pourraient regretter. Pour cette raison, nous avions publié un article très détaillé dans le « spécial prévoyance » du Monde économique paru en octobre 2023 il y a donc bientôt un an. Pendant près de 10 mois, les opposants à la réforme n’ont pas réagi, on peut se demander pourquoi !

Cette stratégie de certains partis politiques et syndicats m’a fait réfléchir et m’a amené à modifier l’article initialement préparé, car ce qui m’a le plus profondément choqué ces derniers jours, c’est le nombre de dirigeants et de cadres supérieurs que j’ai rencontré lors de différents colloques, qui m’affirmaient craindre les implications que pourrait avoir cette votation sur leur propre retraite, alors même qu’ils sont au bénéfice d’un plan de prévoyance largement supérieur au minimum LPP. Soit leur salaire est assuré en totalité sans plafond, soit le taux de cotisation est plus élevé, soit c’est une combinaison des deux. Tous les cas analysés ne seront aucunement impactés par ces votations. Je peux affirmer cela sans ambiguïté, ayant vu les plans de prévoyances et effectué des calculs comparatifs tenant compte des salaires assurés élevés et/ou des taux de cotisations supérieurs au minimum LPP, de ces cadres, dirigeants et employés qui m’ont approché et questionné sur le sujet.  

Lorsque finalement je leur demandais ce qu’ils comptaient voter, une bonne partie d’entre eux me répondaient que dans le doute, n’ayant pas trop d’idée sur le sujet, qu’ils allaient probablement voter « NON » ! Comment dès lors garder un discours professionnel pour faire comprendre les enjeux de la votation, alors que de simples titres dans la presse, des pancartes avec des slogans alarmants, peuvent déstabiliser tout un chacun et ce, même dans les échelons les plus élevés d’entreprises suisses ! Nous allons donc faire le ménage et venir vous éclairer pour que votre choix soit un compromis entre « bon sentiment personnel » et « compréhension des enjeux », car une votation n’est pas seulement une décision personnelle, elle a un impact sur les générations futures ne l’oublions pas.

Commençons par un bref rappel de ce qui s’est passée ces 40 dernières années, des calculs clairs et précis seront présentés juste après. Après de 20 ans après l’entrée en vigueur de la LPP en 1985, c’est en 2005 qu’a eu lieu le premier abaissement du seuil d’accès, de la déduction de coordination et du taux de conversion. Les deux réformes soumises au peuple en 2010 et 2017 ont été successivement refusées, on peut ainsi aisément partir du point de vue qu’il faudra attendre 7 ans de plus avant de pouvoir compter sur une nouvelle réforme en cas de refus le 22 septembre prochain.    => On parlera alors de 2031 !

Monde Economique: En 2024, l’initiative « Mieux vivre à la retraite » a été acceptée par le peuple, la 13è rente AVS sera bientôt versée. Pourquoi en parler ici ?

Alain Canonica: C’est un petit clin d’œil aux opposants à la réforme. Les générations dites transitoires couvertes selon le minimum LPP avec des revenus situés entre 75’000.- CHF et 88’200.- CHF sont les plus touchées et pourraient voir leur rente de retraite LPP réduite d’un montant allant jusqu’à 200.- par mois au maximum. Je confirme ces chiffres qui sont corrects !

Monde Economique: Et la réforme LPP 21 dans tout cela ?

Alain Canonica: C’est la suite logique de la réforme de 2005, avec un nouvel abaissement du seuil d’accès, de la déduction de coordination et du taux de conversion, avec cette fois ci, en plus une phase de transition permettant de réduire l’impact négatif sur la génération transitoire.

Monde-Economique: Peut-on vraiment parler de baisse de prestations pour les personnes de la génération transitoires, celles qui ont entre 50 et 65 ans ?

Alain Canonica: Ma réponse est clairement « non ». Les assurances sociales ont été fondées sur un système de 3 piliers. Avec la décision du versement d’une 13è rente AVS, cette même classe de revenu (70k à 88K) se verra verser environ 2’400.- CHF de plus par année, soit 200.- de plus par mois, ces personnes ne subiront ainsi aucune baisse sur l’ensemble de leurs rentes de retraite AVS et LPP cumulées. Les personnes avec des revenus plus bas, étant moins impactées par la baisse du taux de conversion verront leurs capitaux et rentes de retraite augmenter. Avec l’augmentation de la rente AVS dès le 01.01.2025 de 2.9% qui n’est pas prise en compte dans ce calcul, les rentes annuelles de l’AVS et de la LPP cumulées augmenteront même de 840.- CHF par année. Ce n’est certes pas énorme, mais quoi qu’il en soit, c’est une augmentation des rentes !

Monde-Economique: L’argument lié à la baisse du taux de conversion est ainsi balayé.

Alain Canonica: Dans l’absolu, si l’on ne tient pas compte des rentes AVS, seules peu de personnes seront impactées par la baisse des prestations de la LPP et c’est important de le souligner.

Monde-Economique: Qui sont les perdants de la Réforme LPP21 ?

Alain Canonica: Il s’agit des citoyennes et citoyens suivants :

  • Les personnes âgées entre 50 et 65 ans (phase transitoire), MAIS :
  • Uniquement si leur revenu est situé entre 70’000.- et 88’200.- CHF
  • Uniquement si le plan de la caisse de pension de leur employeur est au minimum LPP obligatoire (15% des plans)
  • Et uniquement s’ils/elles optent pour la rente en lieu et place du capital, en raison de l’abaissement du taux de conversion.

Comme expliqué précédemment, la réduction de la rente LPP pourrait s’élever à 200.- CHF par mois au plus mais elle sera totalement compensée par le versement de la 13e rente AVS et l’augmentation des rentes au 1er janvier 2025. Selon l’OFS, 67.6% des femmes contre 42.6% des hommes ont un revenu inférieur à 78’000.- CHF, soit 2’464’000 personnes actives. Ce sont 15% de ces personnes, soit près de 370’000 citoyennes et citoyens qui ne sont pas couverts dans un plan surobligatoire, qui profiteront immédiatement de cette réforme. (4’997’000 personnes actives au total – état 03.2024).

Monde-Economique: Qui sont les grands gagnants de la Réforme LPP21 ?

Alain Canonica: Pour tous les jeunes actifs qui entrent dans la vie active et qui cotiseront jusqu’à leur retraite, la réforme présente de nombreux avantages et aucun inconvénient selon notre analyse. Les cotisations augmenteraient dès l’entrée dans la vie active, ce qui permet d’accroître considérablement le capital à la retraite. Les exemples suivants sont précis, jeunes entrant dans la vie active tenant compte d’un revenu fixe sur toute la durée de calcul.

  1. Revenu 80’000 CHF : le capital de retraite augmenterait de 40’366.- CHF, +12.2%. (369’912.- CHF contre 329’546.- actuellement). Le surcout sur toute la durée esten moyenne de 29.65 CHF/mois pour l’employé. Gain réel net : 26’134.- CHF (capital après déduction des primes d’épargne supplémentaires).
  2. Revenu 50’000 CHF : le capital retraite augmenterait de 86’303.- CHF, +59,6%. (231’195 CHF contre 144’892.- CHF actuellement). Surcout moyen de 67.-CHF/mois pour l’employé. Gain réel net : 54’143.- CHF.
  3. Revenu 40’000 CHF : le capital retraite augmenterait de 101’615.- CHF, +121.92 %. (184’956.- CHF contre 83’341.- CHF actuellement). Surcout moyen de 84.22 CHF/mois pour l’employé. Gain réel net : 61’189.- CHF.

Comment peut-on affirmer que l’on va payer plus pour avoir moins d’argent. Cette information mensongère ne concerne aucunement les générations futures qui entrent dans la vie active, c’est important de le souligner. Il faudra certes payer un peu plus tous les mois, mais les chiffres sont très loin de la réalité présentée par les opposants à la réforme, et il faut regarder en face quel est l’impact sur les prestations qui seront perçues dans le futur.

Monde-Economique: Qu’en est-il pour cette génération si elle prenait la rente avec le nouveau taux de conversion abaissé ?

Alain Canonica: Tenant comptes de capitaux nettement plus élevés, les rentes de retraites seront-elles aussi nettement plus élevées même avec le taux de 6% en lieu et place du 6.8% actuellement en vigueur.La rente AVS vient s’ajouter aux rentes LPP ci-dessous.

  1. Revenu 80’000.- CHF : rente de retraite LPP de 22’194.- CHF/an, -0.96%. (22’409.- CHF/an actuellement)
  2. Revenu 50’000.- CHF : rente de retraite LPP de 13’871.- CHF/an, +40%. (9’853.- CHF/an actuellement)
  3. Revenu 40’000.- CHF : rente de retraite LPP de 11’097.- CHF/an, +95% (5’667.- CHF/an actuellement)

De facto et dans les faits, les jeunes générations ont tout intérêt à voter OUI sans hésitations à cette réforme. Avec de modestes cotisations complémentaires, les capitaux et les rentes à la retraite seront plus élevées que celles qu’ils toucheraient avec le système actuel, de plus la question du financement à long terme ne se posera pas non plus ! Si on tient compte de l’augmentation moyenne des rentes ci-dessus, qu’on multiplie cette augmentation par le nombre d’assurés concernés d’environ 370’000 pendant une durée moyenne de paiement des rentes de 20 ans, on arrive à plus de 35 mia. de CHF de rentes qui seront versées en plus grâce à la réforme. Nous pourrions aussi avancer des chiffres  très estimatifs, tout comme le font les opposants à la réforme avec des propos alarmistes et des chiffres tombant du ciel !

Monde-Economique: Pourquoi un taux de conversion de 6% ?

Alain Canonica: Tous les partis semblent s’accorder sur le fait que 85 % des assurés sont couverts par une caisse de pension offrant des prestations surobligatoires. Dans ces régimes, les caisses de pension déterminent elles-mêmes le taux de conversion, qui est souvent (et on peut presque dire « toujours ») inférieur à celui du régime obligatoire.

Une étude récente de Swisscanto portant sur 500 caisses de pension, confirme nos calculs, elle indique que le taux moyen appliqué est de 5,37 % en 2023 et pourrait passer à 5,23 % d’ici 2027. La SPKR (Schweizer Pensionskassen Rating) montre que pour la majorité des caisses, les taux varient entre 4,6 % et 5,6 %. En octobre 2023, Iwan Brot, économiste bancaire, expert en planification financière et titulaire d’un certificat spécialisé CfBS en mathématiques, statistiques et finances, a présenté un tableau démontrant qu’un rendement net de 3,75 % est nécessaire pour garantir le versement des rentes pendant 20 ans avec un taux de conversion de 6 %.  Avec la réforme actuelle qui vise ainsi à sécuriser le financement des rentes LPP à long terme, on franchirait un pas allant dans ce sens.

Monde-Economique: Quel est l’impact de la réforme LPP21 pour les assurés au bénéfice d’un plan de prévoyance surobligatoire ?

Alain Canonica: Selon les estimations de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), deux bons tiers des assurés actifs ne devraient guère profiter de la réforme. Ceci parce qu’ils sont déjà assurés de manière nettement «surobligatoire». C’est par exemple le cas lorsque l’employeur renonce à la déduction de coordination, ce qui permet de verser des bonifications de vieillesse sur un salaire plus élevé. Un salaire AVS assuré sans déduction de 80’000 CHF dans un plan surobligatoire, sera de 54’275 CHF avec la déduction de coordination actuelle, et de 72’000 CHF en cas d’acceptation de la réforme.

Le capital versé à la retraite avec ce plan surobligatoire serait de 492’410.- CHF contre CHF  453’142.- CHF avec la réforme et 329’546.- dans le système actuel tenant compte des taux de cotisations respectifs. L’abaissement du taux de conversion de 6.8% à 6% n’a donc aucun impact pour cet assuré, car la rente même avec un taux de conversion inférieur, restera plus élevée en raison du capital nettement plus important. De plus, de nombreuses entreprises prennent en outre en charge une plus grande partie des cotisations salariales ou épargnent sur des taux plus élevés, là aussi la réforme LPP ne modifiera en rien l’épargne retraite qui restera inchangée.

Monde-Economique: Quel est l’impact pour les personnes qui optent pour une retraite anticipée ?

Alain Canonica: 35% des Suisses optent chaque année pour une retraite anticipée et ne bénéficient pas du taux de conversion LPP de 6.8%. La Réforme n’influencerait pas cette catégorie de personnes. Le taux de réduction appliqué sur la rente AVS est de 6,8% par année d’anticipation, soit 13.6% pour une retraite anticipée de deux ans. La LPP ne prévoit pas de taux de retraite anticipée, c’est l’institution de prévoyance qui le fixe librement ce taux !

Monde-Economique: Qu’en est-il dans le cas de la prise du capital en lieu et place de la rente ?

Alain Canonica: Une personne sur deux opte pour le capital en lieu et place de la rente de retraite, soit en raison de l’imposition des rentes AVS et LPP à titre de revenu, soit parce qu’elle ne désire pas que l’argent épargné reste dans la caisse de pension en cas de décès (personnes seules, divorcées, etc), soit car elles veulent le capital pour aller vivre à l’étranger.

Sur les 2546 000 rentes de vieillesse versées, 796’000 ont été versées à l’étranger. En 2023, 139 300 nouvelles rentes de vieillesse ont été versées dont 37’500 à l’étranger, 26.9% des nouveaux rentiers sont allés s’établir à l’étranger. Toutes ces personnes ne seront aucunement impactées par la baisse du taux de conversion puisqu’elles optent pour le capital.

Pour conclure :

  • Les personnes à la retraite ne sont pas concernées par la réforme, leur rente de retraite ne sera pas impactée.
  • Les personnes avec des revenus inférieurs verront leurs capitaux de retraite et leurs rentes augmenter, également en cas d’invalidité et de décès car les prestations de minimum LPP sont basées sur l’épargne projetée.
  • Les jeunes et les générations futures verront leurs capitaux de retraite et leurs rentes augmenter
  • Les autres assurés ne subiront pour ainsi dire aucune diminution de leurs rentes de retraites cumulées AVS + LPP
  • La baisse du taux de conversion ne concerne que le minimum obligatoire et n’aura aucun impact sur les taux appliqués par les caisses surobligatoires déjà inférieurs à 6 %.
  • Adapter le taux à 6 % est crucial pour le minimum obligatoire en raison des réalités démographiques et économiques.
  • Les assurés de caisses surobligatoires ne verront pas leurs rentes diminuer, car leurs taux de conversion sont déjà sous la barre des 6 %.
  • Les assurés devant cotiser plus profiteront aussi du fait que l’employeur doit également cotiser davantage à part égale au minimum.
  • Les assurés à temps partiels ou multi-employeurs verront une augmentation significative des prestations de retraite grâce à la réforme.

💡 Que l’on soit parmi les mieux lotis ou les moins favorisés, cette réforme ne fera pas fondre les prestations de retraite comme le craignent certains partis politiques. Il y a donc de solides raisons de voter OUI à cette réforme.

Pour finir, cette votation est une première étape nécessaire. D’autres améliorations seront indispensables pour aborder des sujets tels que les réserves des caisses, les frais de gestion, le taux d’intérêt minimal, et la protection des assurés contre les risques d’insolvabilité. Le débat ne fait que commencer !

Reste à préciser que des optimisations à ce niveau permettraient entre autres d’augmenter les rentes à la retraite pour tous les cotisants LPP, en comprenant les classes totalement défavorisées ou pas du tout assurées dans le système LPP actuel et qui en profiteraient grâce à la réforme.

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