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Par Nabil Hatimy, Director, Head of Clients Delivery & Partnerships, Indigita
Les régulateurs ont identifié le secteur financier comme jouant un rôle crucial et moteur dans la transition vers la durabilité. La réorientation des ressources financières vers des projets ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) encourage d’autres secteurs à suivre, influençant ainsi l’économie réelle. En Suisse, cette approche se caractérise par l’autorégulation, le secteur financier établissant actuellement ses propres normes et lignes directrices en matière de pratiques durables, sur la base des grandes orientations fournies par les régulateurs. En revanche, l’Union européenne adopte une approche plus structurée, fondée sur une législation formelle. Cette divergence met en évidence les différentes méthodologies utilisées pour aborder la question de la durabilité dans le secteur financier.
L’approche suisse de la finance durable repose largement sur l’autorégulation, ce qui permet aux institutions financières de définir et de mettre en œuvre leurs propres normes ESG. Les banques et les gestionnaires d’actifs suisses élaborent souvent leurs propres lignes directrices en matière de développement durable, adaptées à leurs modèles d’entreprise et aux besoins de leurs clients. Cette approche d’autorégulation encourage l’innovation et la diversité dans les pratiques de finance durable. Toutefois, la tendance à la formalisation des réglementations ESG en Suisse est de plus en plus forte. Une législation potentielle est en cours de discussion afin d’aligner plus étroitement les pratiques suisses sur les normes internationales, en garantissant la cohérence et la transparence des rapports ESG et des stratégies d’investissement.
L’approche européenne de la finance durable s’appuie sur des cadres réglementaires rigoureux conçus pour assurer la clarté et la cohérence entre les États membres. Au cœur de cette approche se trouve la Taxonomie de l’UE, un système de classification qui identifie les activités économiques durables sur le plan environnemental. La taxonomie définit des critères permettant de déterminer si une activité contribue à la réalisation d’objectifs environnementaux tels que l’atténuation du changement climatique et la protection de la biodiversité et des écosystèmes.
Une autre réglementation essentielle est le règlement sur la divulgation en matière de finance durable (SFDR). Les articles 8 et 9 de ce règlement jouent un rôle essentiel dans la promotion de la transparence. L’article 8 exige des participants aux marchés financiers qu’ils indiquent comment ils intègrent les facteurs ESG dans leurs décisions d’investissement, en mettant l’accent sur les produits qui favorisent les caractéristiques environnementales et sociales. L’article 9 va plus loin en ciblant les produits dont l’objectif est l’investissement durable et en exigeant des informations détaillées sur la manière dont ces objectifs sont atteints. Ces obligations s’inscrivent dans le cadre plus large de la directive sur les marchés d’instruments financiers II (MiFID II), qui influe sur la manière dont les services d’investissement sont fournis dans l’UE.
Bâle III est un ensemble complet de mesures de réforme élaborées par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, visant à renforcer la réglementation, la surveillance et la gestion des risques dans le secteur bancaire. Ces réformes ont un impact à la fois sur l’Union européenne et sur la Suisse, car elles exigent des banques qu’elles maintiennent des niveaux de capital plus élevés et qu’elles adhèrent à des normes plus strictes en matière de liquidités. Bâle III met l’accent sur l’amélioration de la résistance des institutions financières au stress économique, réduisant ainsi le risque de faillite des banques.
Un élément important de Bâle III vise à établir des règles de transparence pour les informations financières et à améliorer la publication d’informations concernant les actifs, les risques et les pratiques de gestion des risques d’une banque. L’intention sous-jacente est d’harmoniser les pratiques de communication financière entre les banques et les pays, afin de faciliter la comparaison des états financiers et des informations fournies.
Il est important de noter qu’il aborde également les risques ESG. Cet aspect permet aux acteurs du marché de comparer l’exposition de chaque banque aux entreprises respectueuses de l’environnement, d’évaluer l’impact du changement climatique sur les différents risques et d’apprécier la rapidité avec laquelle les prêteurs adoptent des modèles d’entreprise plus durables.
En pratique, les banques devront divulguer leur exposition aux activités à forte intensité de carbone et aux actifs menacés par les conséquences du changement climatique, telles que les inondations et les incendies. En outre, les banques devront publier des données sur leur exposition aux clients impliqués dans les combustibles fossiles, les émissions de gaz à effet de serre financées et leur alignement sur les objectifs de neutralité carbone pour 2050.
Ces informations liées à l’ESG permettront aux parties prenantes de mieux comprendre l’impact environnemental des activités des banques et encourageront le secteur financier à contribuer plus activement aux objectifs mondiaux en matière de développement durable.
Les banques suisses doivent naviguer dans un paysage réglementaire complexe, en tenant compte à la fois des réglementations nationales et des implications transfrontalières. Par exemple, une banque suisse dont les clients sont domiciliés dans l’UE doit tenir compte de la Convention de Lugano, qui facilite la reconnaissance et l’exécution des jugements entre l’UE et la Suisse. Cela pourrait potentiellement déclencher les exigences de la MiFID II, y compris celles liées aux informations et aux normes ESG. Les banques suisses devraient donc examiner attentivement la possibilité d’intégrer ces réglementations dans leurs cadres opérationnels afin de garantir la conformité et la compétitivité.
En outre, les banques suisses devraient investir dans des systèmes robustes de reporting ESG et développer des stratégies globales qui s’alignent à la fois sur les réglementations suisses et sur les autres réglementations internationales, en fonction de leurs marchés cibles étrangers. Il s’agit notamment d’adopter les meilleures pratiques en matière de rapports sur le développement durable, d’engager un dialogue continu avec les parties prenantes et de participer activement aux initiatives internationales en matière de développement durable. Ce faisant, les banques suisses peuvent répondre à la demande croissante de produits et de services financiers durables tout en conservant leur réputation de leaders sur le marché financier mondial.
En conclusion, les banques suisses se trouvent à un moment charnière, confrontées à la fois aux défis et aux opportunités que présente l’évolution des réglementations ESG. Pour naviguer efficacement dans ce nouveau cadre, elles ont besoin de partenaires clés disposant d’une expertise approfondie en matière d’ESG. Ces partenariats peuvent aider les banques à s’aligner sur les meilleures pratiques mondiales, à améliorer leurs capacités de reporting et de conformité ESG, et à renforcer leur avantage concurrentiel sur le marché financier international. En adoptant ces changements et en tirant parti de l’innovation financière, les banques suisses peuvent contribuer à des résultats environnementaux et sociaux positifs, garantissant ainsi leur durabilité à long terme et leur succès dans un paysage financier en rapide évolution.
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