Y-a-t-il deux pilotes dans l’avion? – Trajectoire: Bertrand PICCARD/Solar Impulse

14 décembre 2016

Y-a-t-il deux pilotes dans l’avion? – Trajectoire: Bertrand PICCARD/Solar Impulse

Fébrile, je sonne. Il apparaît. Éblouissant. Charismatique. Bertrand et sa tout aussi rayonnante épouse Michèle m’accueillent chaleureusement comme une vieille amie d’enfance. Ce soir, il me faudra parquer dans un enclos de 4000 caractères deux heures d’entretien. La nuit sera longue.

Bertrand Piccard, funambule ?

Tendue au-dessus de la croûte terrestre, la corde invisible sur laquelle Bertrand Piccard jongle entre matière et esprit se déplace dans l’espace au gré de circonvolutions supersoniques. Chers lecteurs, est-ce que cette question vous turlupine aussi : comment peut-on tout à la fois être aéronaute et psychiatre ? Les réponses se déposent sur mon bloc-notes comme les feuilles d’automne dans le jardin ensoleillé. En Bertrand Piccard s’imbriquent en parts égales le principe féminin et masculin : intuition et créativité épousent en parfaite synchronie action et réalisation.

L’enfance vue de l’intérieur

Timide et introverti, le petit Bertrand n’a pas cinq ans quand il questionne sa mère sur le monde et l’existence. Marie-Claude lui répond par ses propres incertitudes et interrogations. S’installe entre eux un dialogue philosophique profond. Départ aux États-Unis où il côtoie quotidiennement les astronautes de la NASA. Émerveillé devant les « hommes des livres », il prend conscience que la frontière entre rêve et réalité tient à un fil. Désormais, il rêve de voler.

La désespérance du rêve

Retour en Suisse. Bertrand a 12 ans. Dans un environnement qu’il ressent étroit, ses désirs s’en trouvent décalés. Comment voler ? Où trouver l’étoffe des astronautes ? Cette question désespérante tenaille son esprit comme une enclume qui s’enfonce dans la mer. Adolescence encastrée dans un conservatisme trop éloigné de sa légende personnelle.

Là où tout bascule

Alors que l’étau étouffe Bertrand, il rencontre l’aile delta. Il a 16 ans. Coup de foudre volcanique, atomique. Son être se métamorphose et se hisse au palmarès de tous les possibles. Il rejoint son principe masculin. La conquête de l’air n’attendait que lui : vol acrobatique, parapente, ULM, cross-country, et j’en passe. Puis il creuse un autre sillon avec le tour du monde en ballon sans escale, sans moteur, sans gouvernail, juste avec les vents. Le jour où il découvre les drones solaires, il se dit « Il m’en faut un, avec un pilote à l’intérieur. » Un pari monstrueux, insensé. Avec son ami André Borschberg, il tisse un projet qui relie peu à peu des personnes dont la foi vole au-dessus de la stratosphère. Solar Impulse devient un appel fou à la protection de l’environnement. L’obstacle semble stimuler Bertrand Piccard. Comment rebondit-il ? Une recette simple et si complexe : il se débarrasse de ses croyances limitantes qui enchaînent la créativité et la liberté. Sur le terrain des défis techniques, il comprend l’effet crucial de la force intérieure sur la réussite ou l’échec. Dehors et dedans : deux dimensions qui s’entrelacent et qui invitent Bertrand aux métiers de la psychologie.

Une inspiration, une expiration

Persévérant et honnête, Bertrand Piccard opère par inspiration, jamais par priorité. Une bizarrerie qui irrite parfois ses troupes, qui n’en restent pas moins animées par un projet révolutionnaire et historique dont elles sont les fières parties prenantes. S’il est sans concession envers lui-même et les autres, il fera tout aussi preuve de bienveillance et d’écoute. Dans l’émotion forte, il va chercher le recentrage dans la dernière bribe de l’expiration.

Le secret des deux pilotes

Chers lecteurs, dans chaque réaction, chaque geste, chaque mot, nous avons le choix : augmenter la lumière, ou augmenter l’obscurité. Dans cet exercice de funambulisme quotidien entre matière et esprit, vous aurez reconnu les deux pilotes dans l’avion de Bertrand Piccard : le pilote extérieur, tourmenté parce que le matériel peut défaillir, et le pilote intérieur expérimentant une dimension qui le convie à se dépasser, à toucher la profondeur, à se mesurer à l’univers, et à effleurer l’essentiel. Et si on embarquait ?

 

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